Pandore Keyphalos • Your heart is so yummy

Pandore était là, assise à la table de sa cuisine, en pyjama. Dans ses doigts se trouvait une photo imprimée dans un photomaton la représentant avec un jeune homme d’à peu près son âge, peut-être un peu plus vieux. Elle soupira. Longuement. Chaque soir c’était la même chose, elle regardait la seule photo jamais prise avec Œdipe. Ils l’avaient fait quelques jours avant qu’il ne l’abandonne dans les rues sombres du quartier Nord. À ce moment là, si il n’y avait pas eu le Principal et sa femme, elle aurait fini mendiante jusqu’à la fin de sa vie qui se serait résumée à mourir au fond d’un caniveau à cause du froid hivernal. Le couple l’avait sauvé, sorti de sa misère. Il lui avait offert un toit, à manger, alors naturellement, elle s’y était attachée. Elle leur avait raconté sa vie si atypique. Sans savoir qui ils étaient, elle leur avait tout dévoilé.

Parce qu’il était difficile pour elle de s’exprimer longtemps avec sa voix spirituelle, elle avait rédigé un cahier contenant l’intégralité de son histoire. Elle y avait décrit sa famille avec ses 13 frères et sœurs, les croyances de sa communauté qui ne semblaient apparemment pas partagée par les autres, les mauvais traitements que lui avaient fait subir ses frères. Dans ces pages, elle avait parlé de cette fois où ils l’avaient brûlé avec de l’eau bouillante pour voir si elle était vraiment dans l’incapacité de parler, de ce souvenir si marquant où ils avaient tenté de la faire entrer dans une cheminée. À ce moment là, la frustration de ne pas pouvoir crier avait été telle que son pouvoir s’était déclenché. Pour la première fois, elle avait pu parler, produire des sons. Dans la tête des autres.

S’arrêter en si bon chemin n’aurait pas été bien vu alors elle raconta ce qu’il lui était arrivé après. Le moment où on la marqua au fer rouge pour qu’elle suive la voie d’Aclépios, la fête que sa famille organisa pour féliciter son entrée, à 13 ans, dans l’apprentissage, ses années d’étude pour finalement sortir « diplômée » en tant qu’infirmière. Tout cela, elle le rédigea sur un autre journal. Sans s’en être rendue compte, elle avait des choses sur le cœur dont elle avait besoin de se séparer. Elle écrivit même à propos de cet événement dont elle n’arrivait plus à se souvenir où elle avait goûté la chair de mentaliste et découvert les bienfaits qu’elle lui procurait, marquant ainsi son passage progressif vers le cannibalisme.

Dans cette biographie improvisée, elle s’épandit énormément sur le cas d’Oedipe. Sans remarquer que toute cette quantité de détails en disait long sur ses sentiments, elle expliqua comme le jeune homme lui avait parlé du monde extérieur, comment elle avait tenté de le raisonner et la façon qu’il avait trouvé de la rassurer. Elle raconta également ces 4 années qu’ils passèrent à élaborer leur plan d’évasion. La pauvre n’avait pas compris tous les enjeux à ce moment là. Jusqu’à la fin elle était restée persuadée qu’ils rentreraient très vite raconter ce qu’ils avaient vu à leur famille. Quelle désillusion.

Et la voilà à présent, assise sur cette simple chaise dans son simple appartement. Ils avaient fait tout le chemin jusqu’à Daunae ensemble, ils avaient volé pour survivre et il l’avait abandonné. En soupirant, la jeune femme envoya la photo à l’autre bout de la table et se leva pour se préparer un thé dans sa lenteur habituelle. Même si elle apercevait un peu ses mauvais côtés depuis quelques temps, elle ne pouvait qu’être reconnaissante au Principal qui lui avait fourni papiers et travail, la protégeant ainsi de toute illégalité. Devenant son espionne personnelle, elle avait rassemblé des informations sur les pensionnaires de Xényla, aidé les élèves en leur prodiguant des soins, rencontré Kristal sa collègue et découvert son rêve : devenir anesthésiste.

Désormais, elle travaillait à deux endroits pour pouvoir économiser et devenir étudiante dans la filière médecine de Xényla. Elle avait hâte d’avoir assez pour payer son concours d’entrée et enfin toucher du doigt ce à quoi elle aspirait. En espérant que le Principal continuerait à la fournir en anti-dépresseurs.