s p a r k l e } Cass

Les cendres encore accrochées à mon dernier mégot de la journée, je soupire. Ça fait trois ans maintenant. Trois ans que je garde la croix Unistérienne autour de mon cou. Trois ans qu’ils sont partis sans s’excuser. Trois ans que je regrette de ne pas avoir tenté de recoller les choses entre nous. J’ai du mal à savoir si c’est à cause de la fatigue que je culpabilise autant, loin de moi le loisir de choisir d’avoir des parents qui me renient. Une rose saphique. Une mauvaise herbe, comme ils m’appelaient.
Ils avaient beau tenir aux préceptes de l’Unique comme à la prunelle de leurs yeux, la petite digression sur l’amour de son prochain, qu’il soit du même sexe ou non a l’air de leur être passé au-dessus du couvre-chef. Petite, je pensais sincèrement que mes parents me soutiendraient sur tous les points et qu’ils m’aimeraient de toute leur force jusqu’au bout, peu importe ce qui devait arriver. J’y croyais dur comme fer. Mais le jour où je suis rentré chez moi au bras de ma petite amie du moment pour leur présenter, j’ai compris qu’il n’était pas toujours bon de croire en la foi des autres.

À mes dix-neuf ans je me suis donc fait jeter par mes parents hors de la maison. J’étais toujours étudiante, et je n’avais pas un rond, alors je créchais ci et là chez des amis, mais je ne pouvais décemment pas me permettre d’être une squatteuse jusqu’à la fin de mes études. Alors je suis sortie, j’ai pris le premier job qui me tombait sous la main, et qui collait à peu près avec mes horaires. Ce n’était pas un salaire mirobolant, mais ça suffisait à payer les factures et la nourriture tous les mois.
J’ai continué pendant un moment les études de dessins, parce que dans le fond, c’est ce qui me faisait vibrer. Depuis mes premiers pas, j’ai toujours eu un crayon à la main — ou à la bouche pour les plus vieilles photos. Et puis un jour, j’ai découvert l’univers du tatouage. J’avais déjà vu des gens tatoués dans la rue, même si ça reste encore un peu rare à Rosvardach, mais ça m’a toujours fasciné.
Je ne crois pas me tromper, mais il me semble que la première fois que j’en ai vu de près, c’est la première fois que je suis allé chez un perceur. J’étais rentré dans la boutique sans vraie raison, je voulais juste un renseignement. J’ai écumé les salons de tatouages en leur montrant mes travaux, sans succès. Et puis au bout d’un mois et demi, l’un des salons me rappelle — je laissais régulièrement mon numéro en croisant les doigts pour qu’ils ne le jettent pas, dès que la porte se refermait derrière moi. L’un de leur employé venait de démissionner, et il ne trouvait personne d’autre pour le remplacer. C’était loin d’être bien payé, mais en attendant d’avoir assez pour me payer mon propre salon, je n’avais pas trop le choix.

J’y suis allé, j’avais vingt-deux ans, et j’y ai bossé pendant à peu près six ans et demi. Tout ce temps, j’ai économisé dans l’optique d’ouvrir un jour mon salon. Et puis quelques mois plus tard, je reçois un coup de téléphone. On m’annonce que mes parents viennent de décéder. Ça me semblait évident, du peu de nouvelles que j’avais d’eux grâce à de vieux amis, je savais qu’ils n’étaient plus en grande forme. Mon père a été le premier à succomber au temps, ma mère l’a suivi le lendemain.
On m’a demandé de venir sous-peu, on m’a annoncé que j’étais encore sur le testament, et que tout me revenait. J’ai eu du mal à comprendre, surtout après m’être fait jeter de la maison, mais je n’ai rien dit. Certains penseront certainement que j’ai profité de la situation, mais avec ce qu’il restait, j’ai enfin pu avoir mon propre salon. Être ma propre patronne. Ça fait trois ans que je garde cette croix autour du cou, pour me rappeler que malgré tout, c’est grâce à eux que j’en suis là.