Don’t look at me like that ◦ Caelan Anderson

De : Eanna
Le : 15/11/2010, 16:53
À : Alexander (alexander.ve@coldmail.bm)
Objet : Mon tout premier mail !

Hiiiii !

Bon, je sais pas trop quoi t'écrire comme on vient seulement de se parler, mais j'ai eu envie de t'envoyer quelque chose pour fêter ça !
T'avais raison, ça sera quand même vachement plus simple de garder le contact comme on veut par mail plutôt que seulement sur le forum. C'est vraiment trop cool que nos parents nous aient dit oui pour échanger nos adresses mail, on pourra garder une trace de nos conversations importantes, je trouve ça génial !
Enfin voilà, c'est tout ce que je voulais dire...

À bientôt !

Eanna.
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Wouah.
Quand je relis tout ça, j'ai un peu honte de moi, quand même.

Je ne sais pas vraiment pourquoi ni comment je me suis retrouvée là, à faire défiler la montagne d'e-mails que j'ai pu écrire à mon meilleur ami depuis qu'on se connaît, mais voilà où j'en suis. Mon tout premier mail. À minuit et demi. Assise en tailleur sur mon lit. Il faut croire que j'ai dû ressentir une sorte de pulsion nostalgique.
Maintenant que je le relis après quoi, sept ans ? Je me dis que c'est quand même un miracle qu'on ait gardé contact tout ce temps.

Il faut dire que mine de rien, je n'étais vraiment pas la plus douée pour alimenter une conversation intéressante à l'époque. Et ne me dites pas que ça n'est toujours pas le cas hein, parce que je m'en sors quand même beaucoup mieux maintenant ! Mais quand même, ce mail est tellement ridicule et pourtant ça me fait sourire de revoir quelque chose qui date de ces années-là.

C'est drôle en fait, de se dire que j'ai failli ne jamais rencontrer quelqu'un qui est devenu mon meilleur ami. Tout ça parce que j'ai décidé de m'inscrire sur un forum de jeux vidéos sur un coup de tête.
J'avais treize ans.
C'est si loin maintenant, tout ça.
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De : Eanna
Le : 23/06/2013, 04:22
À : Alexander (alexander.ve@coldmail.bm)
Objet : Chaise.

Hey Sander !

Je savais pas trop quoi mettre comme objet pour ce mail, du coup je me suis dit qu'en faire une blague serait vachement plus drôle, aha !

Oui bon. Désolée, je sais que c'était nul en fait. Mais ça m'a fait rire donc je vais quand même laisser ça, voilà.

Je pense que tu vas pas trop comprendre pourquoi je t'envoie un mail à... 4h du matin, si j'en crois mon portable ? Mais j'arrivais pas à dormir, et il fallait que je raconte un peu ce que j'avais dans la tête pour essayer de me vider un peu, histoire de trouver le sommeil à un moment ou à un autre.
Et comme mes colocataires dorment actuellement, bah c'est tombé sur toi !

[...]
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Oh, je me rappelle de ce mail. Le pauvre, je lui ai envoyé un véritable pavé ce jour-là, quelque chose que je ne me sens clairement pas le courage de relire entièrement tout de suite.
Mais je me souviens des grandes lignes, je crois.

Il me semble qu'une bonne moitié du mail consistait simplement en une liste de choses que j'avais envie de faire après le lycée. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'avais passé des heures à ne penser qu'à mon futur et j'avais besoin de l'appui de quelqu'un pour lui parler de mes rêves.
Heureusement qu'il me connaît bien ce Sander, sinon il aurait pu penser que je le confondais avec une confidente au féminin, à lui parler chiffon et tricot.

Ça parlait de mes cours de guitare que je prenais au lycée, des dessins que j'avais réalisé pour mes projets de futurs vêtements, de mon idée de tatouage qui me trottait dans la tête depuis un petit moment. Je crois même que je lui avais aussi posé des questions à propos de ses envies de couleurs et de motifs pour l'écharpe que j'avais commencé à faire pour son anniversaire tiens, parce que je passais beaucoup de temps à tricoter dans mon temps libre à ce moment-là.
Ce mail, c'était un peu un condensé de tout et n'importe quoi, en fait. Mais je me souviens que c'était surtout pour me forcer à me changer les idées.
Parce que je ne me sentais pas le courage de parler à Sander de ce qui me préoccupait vraiment.

Gözəllik.
Voilà ce qui m'avait tenu éveillée ce soir-là.

Attention, je ne dis pas que j'étais malheureuse de faire partir de la plus grande agence de mannequinat de la capitale, pas du tout. Mais je dois avouer qu'à partir de cette année-là, mon métier avait commencé à peser sur mes épaules.
Je crois que j'avais alors du mal à comprendre pourquoi et comment j'étais devenue mannequin, en fait. C'était déjà le cas depuis ma dernière année de collège, mais je crois que c'est cette année-là que j'ai compris que finalement, faire partie de cette industrie était bien plus difficile qu'il n'y paraissait.

Mais comment j'aurais pu lui parler de mes peurs à propos de tout ça alors que je ne lui avais jamais parlé du fait que j'étais mannequin ?

Je ne pouvais pas, tout simplement.
Je ne pouvais pas lui dire à quel point je haïssais le régime strict qu'on m'imposait, à quel point je me sentais mal lorsque j'étais entourée de mannequins plus âgées que moi qui me regardaient de haut. Je ne pouvais pas lui dire que j'en avais assez qu'on ne me reconnaisse là-bas qu'en tant que "l'hybride qui a reçu son contrat sur un plateau d'argent".
Et tout ça pourquoi ?

Tout simplement parce que je ne voulais pas qu'il sache.
Parce que j'avais honte.

Je voulais qu'il me voit comme Eanna, son amie qu'il avait rencontré en ligne. Pas comme Caelan, la mannequin aux ailes d'ange qui ne faisait que monter. Je n'avais pas envie qu'il change son opinion à propos de moi-même, qu'il puisse me prendre pour une fille superficielle ou à l'intelligence limitée.
C'est pour ça que je ne lui ai dit en quoi consistait exactement mon travail chez Gözəllik qu'il y a quelques mois. Et que je me sens maintenant plutôt bête d'avoir pu avoir peur de sa réaction, mine de rien.
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De : Eanna
Le : 17/07/2015, 23:47
À : Alexander (alexander.ve@coldmail.bm)
Objet : AZedfgdj

Whaaaa merdi pour tin messzgr c"esr tropp grntik !!!
J"is essazy" de le liremai smes amise voulairnt pzs me lécher !:
Jecroi s qu(ilsq toquznt ç la portee ds toilettrs alrs a+

Eannanass.
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Unique, ne me jugez pas.
Pitié.

Le jour de mon anniversaire. Mes dix-huit ans. J'ai tellement regretté mon abus le lendemain : ça a marqué aussi bien la première que la dernière fois que j'ai touché à une goutte d'alcool.

Je n'arrive pas à croire que je lui ai vraiment envoyé ça. Vraiment.
Si je le pouvais là, je brûlerais toutes les preuves pour que personne ne sache jamais l'état dans lequel j'étais ce soir-là. Parce que pour envoyer un mail à quelqu'un sur sa vieille adresse en réponse à un SMS tout ce qu'il y a de plus normal, il faut être sacrément arraché, si vous me permettez le terme un peu vulgaire.

Enfin bon. Même si j'ai un peu honte de ce dernier mail, je ne peux pas me résigner à le supprimer pour effacer son existence. Garder des souvenirs de son enfance - aussi bêtes et gênants soient-ils -, c'est tout de même amusant !
Je ne les échangerai pour rien au monde, pour ma part.

Relire tout ça me permet de me redécouvrir, en quelque sorte. De constater à quel point j'ai pu évoluer depuis le début de mon adolescence. Heureusement pour moi d'ailleurs, parce que je pense que je pleurerais de moi-même si j'avais gardé la maturité d'une enfant de treize ans alors que j'ai maintenant fêté mes vingt ans.

Est-ce que c'est trop dramatique de soupirer et refermant mon ordinateur portable ?
Sûrement, mais je vais quand même le faire.

Vingt ans...

J'avais besoin de relire tout ça je crois. Pour mieux me recentrer sur ce qui est important, pour prendre la mesure de ce qui me tient à cœur. Pour arrêter de me lamenter bêtement sur mon sort sans rien faire pour arranger quoi que ce soit et me comporter enfin en adulte.
Je vais prendre ma vie en main et ça commencera par ma relation avec Zeru, avant qu'il ne soit trop tard pour réparer ce qui est doucement en train de s'effriter par la faute des médias.

Je ferai tout pour faire de cette année quelque chose d'important, c'est décidé.